Assistante dans une clinique de chirurgie esthétique, Lisa Leroy regagne chaque soir le mobil-home de banlieue où elle vit avec un père accro à la bouteille. Entre ses longs trajets en train et les humiliations quotidiennes, sa vie a tout d’un purgatoire. Elle n’a qu’une passion : la lecture. Elle lit beaucoup et rend compte de ses découvertes sur les réseaux sociaux où elle a 260 fans.
Sur son compte, Un_livre_comme_une_arme _de _poing, elle fait part de ses découvertes littéraires, Arturo Bandini, Herman Melville… Elle souligne des phrases qu’elle partage sur Instagram, mais surtout exprime son mal-être, sa solitude. Le nombre de ses followers stagne jusqu’au jour où elle rencontre une mystérieuse Dame en noir qui lui propose de devenir une star de l’influence. Perplexe, elle refuse mais dans la nuit, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, ils passent de 261 à 10802. Une explosion de likes, de smileys, de propositions enthousiasmantes de la part de maisons d’édition accompagne ce tsunami. Aux commentaires positifs, s’ajoutent bien sûr les inévitables insultes. 
Piégée, la jeune femme qui ne voulait pas d’une vie ordinaire s’engage dans le périlleux engrenage qui mène à la gloire factice de l’influence. La Dame en noir n’est autre que Hazel Caine, une productrice de téléréalité reconvertie en agent d’influenceur. Décidée à la transformer en produit qui fort de ses millions d’adeptes lui fera gagner des fortunes, elle lui annonce d’emblée la couleur : Je peux faire de vous la prochaine grande influenceuse mais vous devrez faire exactement ce que vous dirai.
Rien ne sera épargné à Lisa dans un monde où tous les coups sont permis : faire revivre les morts, lutter contre la mafia, s’affronter avec des trolls, qui à partir d’une simple photo trouvent son adresse.
Avec L’Influenceur, Patrick Bauwen décrit en détail l’envers des réseaux sociaux, la façon dont se créée de toutes pièces une idole d’internet. Le vide, le désir de briller, l’abandon de tout sens moral remplacent les qualités qui mènent au firmament les stars qui ont une vision, un talent, un propos.
Dans ce far-West, l’accident d’un enfant qui manque se noyer dans une piscine est pour sa mère l’occasion d’une story qui récoltera des millions de vues. Les exemples sont légion, la manipulation, le ressort de ce monde basé sur le mensonge et le buzz déterminent la valeur d’une personne.
L’auteur met en scène une galaxie de ratés, de paumés qui exhibent leur vie de rêve fabriquée de toutes pièces mais aussi les jaloux, les envieux, voire les désaxés qui font de ces autoproclamés heureux du monde des cibles à abattre.
Autour de Lisa, jeune femme empathique, atypique, s’agrègent des personnages originaux : une jeune interne qui la met en garde mais est elle aussi balayée par les évènements, une chauffeure-garde du corps qui a le coup de poing facile et le cœur tendre et enfin Hazel Caine, celle qui décide de tout mais va être, elle aussi emportée dans une histoire qui la dépasse. Une figure déjà rencontrée dans L’œil de Caine, il y a quelques années.
La finesse de l’analyse, ne déroge pas à ce qui est la marque de fabrique de Patrick Bauwen : des personnages sympathiques confrontés aux forces du mal ainsi qu’un suspens qui tient en haleine jusqu’à la dernière page. 
Dans L'Influenceur, moins sombre que ses précédents romans, l’auteur  recourt à l’humour quand il s’agit de dénouer des situations critiques.

Brigit Bontour

Patrick Bauwen, L’influenceur, Albin-Michel, mars 2024, 332p.-, 21,90 €